MUSIQUE
Critique d’album : Hozier – Unreal Unearth
L'ambitieux troisième album studio du chanteur a l'étoffe des légendes.
Avez-vous déjà eu le cœur brisé et pensé : « C’est l’enfer ? » Hozier aussi. Mais contrairement à la plupart d’entre nous, il a écrit un album ambitieux de 16 titres sur cette expérience, inspiré par l’Inferno de Dante, et mêlé de références mythologiques, d’un respect pour la nature et d’un espoir obstiné. C’est ce que fait l’auteur-compositeur-interprète irlandais – reconditionner l’universel en quelque chose d’intouchable, comme par magie. Et son troisième album studio est le meilleur à ce jour.
Ce ne sont pas tous les auteurs-compositeurs qui peuvent faire référence à Dante, Jonathan Swift, les divinités grecques et la rébellion irlandaise dans le même disque sans devenir prétentieux. Mais si Unreal Unearth est complexe et bien informé, il ne sacrifie jamais l’accessibilité à sa signification. Le premier single « Eat Your Young » est une refonte sensuelle et jazzy de l’essai satirique de Swift, A Modest Proposal, un commentaire sur la gourmandise de la guerre et une référence au troisième cercle de l’enfer de Dante. On le verrait bien passer à la radio pendant qu’on conduit. L’écriture de Hozier est précise et sans équivoque, et malgré son sujet piquant, le morceau est facilement écoutable.
Plus loin sur le disque, nous avons « Francesca », une ballade brutale aux proportions énormes, du nom d’un chant dans Inferno. « Unknown/Nth » fait référence au neuvième cercle de Dante, tandis que « Son Of Nyx », instrumental à cordes, porte le nom de la déesse grecque et personnification de la nuit. Tous ces chemins d’intérêt s’ouvrent à l’auditeur, mais à la base, Unreal Unearth parle d’un des sujets les plus communs et identifiables – c’est un album de rupture.
Sur son troisième album, Hozier avance à travers les souvenirs de sa relation comme s’il s’aventurait dans son propre enfer personnel, chaque étape révélant un nouveau défi à relever. « Ce n’est pas d’être seul… C’est plutôt d’être inconnu », chante-t-il sur « Unknown/Nth ». « J’ai entendu qu’il te prenait la main et que vous vous envoliez ensemble/Si j’avais son travail, tu vivrais pour toujours », pleure-t-il sur « Anything But », aux influences folk pop.
La ballade orchestrale « Abstract » le voit bloqué sur un souvenir de lui-même et de son ex debout au-dessus d’une créature presque morte sur la route. « J’ai peur que nous soyons toujours/Pris au piège d’un moment abrégé de ma vie », lui dit-il. Le titre alternatif de cette chanson, « Psychopomp », porte le nom d’une sorte d’esprit de la mythologie grecque dont la responsabilité est d’escorter le nouveau défunt dans l’au-delà. L’amour est fini, mais le chanteur refuse de le regretter. « Je suis toujours content de t’avoir rencontré », chante-t-il.
Le confort que Hozier puise dans la nature à travers sa discographie se ressent tout au long d’Unreal Unearth (la pochette de l’album voit le chanteur littéralement enterré dans le sol avec seulement sa bouche souriante visible). Son voyage en tant que Dante l’emmène profondément dans la terre, pour révéler, comme dans la nature, l’espoir et la possibilité d’une nouvelle vie. La chanson d’amour Sinatra-esque au titre cryptique « To Someone From A Warm Climate (Uiscefhuaraithe) » (le titre de la chanson est vaguement traduisible du gaélique irlandais à « refroidi à l’eau ») suggère que le cœur de Hozier est réparable. « All Things End » nous rappelle que la nature qui s’effondre ne gâche malgré tout pas l’amour. « Et juste savoir/Que tout finira/Ne devrait pas changer nos plans/Quand nous recommencerons », chante Hozier.
Le message nous parvient encore et encore. On l’entend dans l’excellent duo indie pop « Damage Gets Done » avec Brandi Carlile, dans lequel deux amants réfléchissent à une relation formatrice et décident, tout compte fait, que c’était une chose positive. Nous l’entendons dans le morceau de soft rock folk « First Time », dans lequel Hozier raconte une histoire d’amour du début à la fin, et décide qu’en se séparant, il y a à la fois de la douleur et une reconquête de soi. Dans « First Time », comme dans presque tous les morceaux, sa performance vocale est étonnante. Le titre clôturant l’album, « First Light », voit Hozier imiter une fois de plus Dante alors qu’il est conduit hors de l’enfer et dans la lumière du jour, pour regarder le ciel comme pour la première fois. C’est une fin extrêmement cinématographique pour le disque, le chanteur soutenu par un chœur de cordes et de voix.
Mais le point culminant de l’album est sa cinquième piste, « I, Carrion ». Parmi les ballades puissantes fantastiques et les énormes instrumentaux orchestraux, la chanson calme et confessionnelle est saisissante. Même dans la performance vocale toute en retenue de Hozier – qui le rend presque méconnaissable de l’homme qui a chanté « Take Me To Church » – il y a une férocité désespérée. C’est presque suffisant pour donner envie à quelqu’un de lire Dante.
Sortie : 18 août 2023
Label : Rubyworks
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En tournée : novembre 2023
